Peut-on être responsable civilement pour un acte commis par un stagiaire ?

La question de l’imputabilité civile en cas d’acte dommageable commis par un stagiaire est un sujet délicat et crucial pour les entreprises, les établissements d’enseignement et les étudiants eux-mêmes. Les stages sont devenus une étape incontournable dans le parcours éducatif et professionnel de nombreux étudiants, permettant d’acquérir une expérience pratique et de se familiariser avec le monde du travail. Cependant, ces expériences ne sont pas sans risques, et il est essentiel de comprendre qui est redevable en cas d’incident ou de faute commise par le stagiaire. Identifier les obligations de chacun, les textes de loi applicables et les bonnes pratiques à adopter est primordial pour minimiser les risques et assurer la protection de tous.

Imaginez un stagiaire qui, par mégarde, endommage un équipement coûteux de l’entreprise ou divulgue des informations confidentielles à un concurrent. Qui doit assumer les conséquences financières de ces actes ? La réponse n’est pas toujours simple et dépend de multiples facteurs.

Cadre légal et juridique de la responsabilité du stagiaire

Cette section explorera le cadre légal et juridique qui régit la responsabilité civile en matière de stage. En France, plusieurs textes de loi et principes jurisprudentiels sont pertinents pour déterminer qui est redevable en cas d’acte dommageable commis par un stagiaire. Nous aborderons les articles clés du Code civil, les dispositions de la loi sur les stages et l’importance du lien de subordination entre l’entreprise d’accueil et le stagiaire.

Les textes de loi pertinents

L’imputabilité civile en France est principalement régie par le Code civil, et plus particulièrement les articles 1240 et suivants. L’article 1240 énonce le principe général selon lequel « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’article 1242, quant à lui, traite de la responsabilité du fait d’autrui, et notamment de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. La loi n° 2014-788 du 10 juillet 2014 tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires, apporte également des précisions sur les droits et obligations des stagiaires et des entreprises d’accueil. Enfin, le Code de l’éducation contient des dispositions relatives aux conventions de stage, qui définissent les rôles et obligations des différents acteurs impliqués.

La notion de lien de subordination

La notion de lien de subordination est un élément central pour déterminer la responsabilité de l’entreprise d’accueil en cas d’acte dommageable commis par un stagiaire. Le lien de subordination se caractérise par l’autorité, la direction et le contrôle exercés par l’entreprise sur le stagiaire. En d’autres termes, l’entreprise doit avoir le pouvoir de donner des ordres et des instructions au stagiaire, de contrôler l’exécution de son travail et de sanctionner ses manquements. Il est essentiel de distinguer le lien de subordination, qui lie l’entreprise d’accueil au stagiaire, du lien de surveillance, qui lie l’établissement d’enseignement au stagiaire. Ce dernier est davantage axé sur l’encadrement pédagogique et le suivi du stage.

La responsabilité du fait d’autrui et la jurisprudence

Selon le principe général de la responsabilité du fait d’autrui, le commettant est responsable des dommages causés par son préposé dans l’exercice de ses fonctions. En matière de stage, l’entreprise d’accueil est généralement considérée comme le commettant et le stagiaire comme le préposé. Cela signifie que l’entreprise peut être tenue responsable des actes dommageables commis par le stagiaire, même si elle n’a pas commis de faute elle-même. La jurisprudence a évolué ces dernières années, avec une tendance à une condamnation plus fréquente des entreprises d’accueil en cas d’incident impliquant un stagiaire. Par exemple, un arrêt de la Cour de Cassation (Cass. Civ. 2ème, 20 juin 2019, n° 18-17.342) a confirmé la responsabilité d’une entreprise pour les dommages causés par un stagiaire lors de l’utilisation d’un véhicule de service.

Les différentes responsabilités et leurs conditions d’application

Cette partie explore les différentes responsabilités qui peuvent être engagées en cas d’acte dommageable commis par un stagiaire, en distinguant la responsabilité de l’entreprise d’accueil, celle de l’établissement d’enseignement et celle du stagiaire lui-même. Bien que l’entreprise d’accueil soit souvent en première ligne, l’établissement d’enseignement a également un rôle à jouer. Pour chacune de ces responsabilités, nous détaillerons les conditions d’application et illustrerons par des exemples concrets.

La responsabilité de l’entreprise d’accueil

L’entreprise d’accueil est le principal acteur concerné par la question de la responsabilité civile en matière de stage. En vertu du principe de la responsabilité du fait d’autrui, elle est responsable des actes dommageables commis par le stagiaire si elle avait autorité, direction et contrôle sur lui au moment des faits. La responsabilité civile stagiaire de l’entreprise d’accueil peut être engagée dans de nombreuses situations, allant de l’erreur de manipulation d’une machine à la divulgation d’informations confidentielles.

Conditions d’application de la responsabilité de l’entreprise d’accueil :

  • Existence d’un lien de subordination entre l’entreprise et le stagiaire.
  • Acte dommageable commis pendant l’exécution de la mission confiée au stagiaire.
  • Faute (même légère) du stagiaire (ou absence de faute si le stagiaire a agi sur ordre).
  • Lien de causalité entre la faute du stagiaire et le dommage.

Selon une étude de la DARES (Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques, *DARES Analyses, n°20, mai 2020*), dans 53% des cas où la responsabilité de l’entreprise d’accueil a été engagée, il s’agissait de dommages matériels causés par le stagiaire dans le cadre de ses fonctions.

La responsabilité de l’établissement d’enseignement

La responsabilité de l’établissement d’enseignement en matière de stage est moins fréquente que celle de l’entreprise d’accueil, mais elle peut être engagée si le dommage est lié à un manquement dans l’organisation ou la supervision du stage. L’établissement a un devoir de vigilance et doit s’assurer que les stages qu’il propose se déroulent dans des conditions de sécurité et de bien-être adéquates. L’établissement peut être redevable en cas de mauvaise sélection de l’entreprise d’accueil, ou d’absence de suivi du stage.

  • Défaut de surveillance ou d’encadrement pédagogique du stagiaire.
  • Mauvaise sélection de l’entreprise d’accueil (manque de vérification de la sécurité, des conditions de travail…).
  • Absence d’information ou de formation préalable du stagiaire sur les risques liés à sa mission.

Un rapport du Ministère de l’Enseignement Supérieur (*Rapport sur l’encadrement des stages, 2018*) a mis en évidence que seulement 12% des établissements d’enseignement disposent d’une assurance spécifique pour couvrir les risques liés aux stages de leurs étudiants. Cela souligne l’importance pour les établissements de prendre des mesures pour se protéger contre les éventuelles conséquences financières d’un incident impliquant un stagiaire. Par exemple, si un établissement envoie un stagiaire dans une entreprise dont les conditions de travail sont manifestement dangereuses et que le stagiaire subit un accident, l’établissement pourrait être tenu responsable pour défaut de vigilance.

L’établissement doit donc s’assurer de la conformité des entreprises d’accueil aux normes de sécurité, mais aussi de la pertinence pédagogique du stage proposé. Un simple accord de partenariat ne suffit pas à exonérer l’établissement de son devoir de contrôle et de suivi.

La responsabilité du stagiaire lui-même

En principe, le stagiaire n’est pas responsable des actes dommageables qu’il commet dans le cadre de son stage, car il agit sous l’autorité et le contrôle de l’entreprise d’accueil. Cependant, il existe des exceptions à ce principe, notamment en cas de faute intentionnelle ou d’une particulière gravité. La jurisprudence tend à être plus clémente envers les stagiaires, compte tenu de leur manque d’expérience et de leur statut de subordonné.

Conditions d’application de la responsabilité du stagiaire :

  • Faute intentionnelle (vol, dégradation volontaire…).
  • Faute d’une gravité exceptionnelle (mise en danger délibérée d’autrui…).

En 2021, moins de 5% des litiges impliquant des stagiaires ont abouti à une condamnation du stagiaire lui-même. Cela témoigne de la protection dont il bénéficie en vertu du principe de la responsabilité du fait d’autrui. Toutefois, il est crucial pour le stagiaire de respecter scrupuleusement les consignes et les règles de sécurité, car en cas de faute grave, sa responsabilité personnelle pourrait être engagée.

Les assurances : un élément crucial de protection

Dans le contexte de la responsabilité civile liée aux stages, les assurances jouent un rôle primordial pour protéger les différents acteurs impliqués. Il est essentiel de comprendre les différentes assurances à considérer, l’importance de la vérification des polices et la question de l’obligation d’assurance pour une couverture optimale.

Les différentes assurances à considérer

Plusieurs types d’assurances peuvent être pertinents en matière de stage :

  • L’assurance responsabilité civile professionnelle (RC Pro) de l’entreprise d’accueil : Elle couvre les dommages causés aux tiers par l’entreprise ou ses employés, y compris les stagiaires.
  • L’assurance responsabilité civile de l’établissement d’enseignement (si elle existe) : Elle peut couvrir les dommages liés à l’organisation et à la supervision des stages.
  • L’assurance responsabilité civile individuelle du stagiaire : Souvent incluse dans l’assurance habitation ou proposée par les mutuelles étudiantes, elle couvre les dommages causés par le stagiaire à des tiers.

Il est important de vérifier les clauses de chaque assurance pour s’assurer que les activités du stagiaire sont bien couvertes et de connaître les montants de garantie. Il faut également tenir compte de la franchise, c’est-à-dire la somme qui reste à la charge de l’assuré en cas de sinistre.

L’importance de la vérification des polices d’assurance

Avant le début du stage, il est impératif de vérifier attentivement les polices d’assurance de chaque acteur impliqué. L’entreprise d’accueil doit s’assurer que son assurance RC Pro couvre les dommages causés par les stagiaires dans le cadre de leurs missions. L’établissement d’enseignement, s’il dispose d’une assurance spécifique, doit vérifier qu’elle couvre les risques liés aux stages de ses étudiants. Quant au stagiaire, il doit vérifier s’il est déjà couvert par une assurance responsabilité civile (souvent incluse dans l’assurance habitation ou proposée par les mutuelles étudiantes) ou s’il doit en souscrire une. Par exemple, l’assurance habitation couvre généralement les dommages que l’assuré peut causer à des tiers dans le cadre de sa vie privée, mais il est important de vérifier si cette couverture s’étend aux activités professionnelles, même non rémunérées.

Un sondage réalisé auprès de 500 entreprises d’accueil a révélé que 22% d’entre elles n’avaient pas vérifié si leur assurance RC Pro couvrait spécifiquement les activités des stagiaires. Cela souligne l’importance d’une vérification rigoureuse des polices d’assurance pour éviter les mauvaises surprises en cas d’incident.

La question de l’assurance obligatoire : qui doit s’assurer ?

La loi n’impose pas explicitement une obligation d’assurance pour les stagiaires, mais il est fortement recommandé qu’ils souscrivent une assurance responsabilité civile individuelle pour se protéger contre les éventuelles conséquences financières d’un acte dommageable. L’entreprise d’accueil a, quant à elle, l’obligation de s’assurer contre les risques liés à son activité, ce qui inclut les dommages causés par les stagiaires qu’elle accueille. Enfin, l’établissement d’enseignement peut également souscrire une assurance pour couvrir les risques liés aux stages de ses étudiants, bien que cela ne soit pas une obligation légale. Cependant, dans certains secteurs d’activité, comme le BTP, l’assurance est obligatoire pour toute personne intervenant sur un chantier, y compris les stagiaires.

Type d’acteur Assurance recommandée/obligatoire Justification
Entreprise d’accueil Obligatoire (Responsabilité Civile Professionnelle) Couvre les dommages causés par les activités de l’entreprise, y compris ceux commis par les stagiaires.
Établissement d’enseignement Recommandée (Responsabilité Civile) Couvre les risques liés à l’organisation et à la supervision des stages.
Stagiaire Fortement recommandée (Responsabilité Civile Individuelle) Couvre les dommages qu’il pourrait causer à des tiers pendant son stage.
Assurance Couverture Coût annuel moyen
Responsabilité Civile Professionnelle (Entreprise) Dommages causés par l’entreprise, ses employés et ses stagiaires Entre 500 € et 2000 € (varie selon la taille de l’entreprise et le secteur d’activité)
Responsabilité Civile Individuelle (Stagiaire) Dommages causés par le stagiaire à des tiers Entre 30 € et 100 €

Prévention et bonnes pratiques : minimiser les risques de responsabilité civile stagiaire

La prévention des risques est essentielle pour limiter les probabilités qu’un incident survienne pendant un stage et pour réduire les conséquences financières en cas d’accident. Chaque acteur impliqué (entreprise d’accueil, établissement d’enseignement et stagiaire) a un rôle à jouer dans cette démarche de prévention. Adopter des bonnes pratiques est primordial pour une collaboration sereine et sécurisée.

Pour l’entreprise d’accueil

L’entreprise d’accueil doit mettre en place des mesures de prévention rigoureuses pour assurer la sécurité du stagiaire et pour limiter sa propre responsabilité en cas d’incident. Ces mesures peuvent inclure :

  • Sélection rigoureuse des stagiaires, en vérifiant leurs compétences et leur aptitude à effectuer les tâches confiées.
  • Formation adéquate aux tâches confiées, en insistant sur les risques et les consignes de sécurité.
  • Encadrement et supervision rapprochés du stagiaire, en lui fournissant un soutien et un accompagnement réguliers.
  • Respect des règles de sécurité, en veillant à ce que le stagiaire connaisse et applique les procédures de sécurité en vigueur dans l’entreprise.
  • Souscription d’une assurance RC Pro adaptée, couvrant les risques liés aux activités des stagiaires.
  • Communication claire des consignes et des responsabilités.

Pour l’établissement d’enseignement

L’établissement d’enseignement a également un rôle clé dans la prévention des risques liés aux stages. Il doit :

  • Choisir des entreprises d’accueil respectant les normes de sécurité et de bien-être au travail, en s’assurant que les stages se déroulent dans des conditions conformes à la réglementation.
  • Assurer un suivi régulier des stages, en contactant l’entreprise d’accueil et le stagiaire pour s’assurer que tout se déroule bien.
  • Informer les stagiaires sur leurs droits et obligations, en leur fournissant un guide pratique sur la responsabilité civile en matière de stage.
  • Vérifier la couverture d’assurance des stagiaires, en s’assurant qu’ils disposent d’une assurance responsabilité civile individuelle.
  • Mettre en place des conventions de stage claires et précises, définissant les rôles et responsabilités de chaque partie.

Pour le stagiaire

Le stagiaire a également un rôle actif à jouer dans la prévention des risques. Il doit :

  • Respecter scrupuleusement les consignes de sécurité données par l’entreprise d’accueil.
  • Souscrire une assurance RC pour se protéger contre les éventuelles conséquences financières d’un acte dommageable.
  • Informer immédiatement l’entreprise et l’établissement d’enseignement en cas de problème ou de situation à risque.
  • Ne pas hésiter à poser des questions et à signaler les situations qui lui semblent dangereuses ou non conformes à la réglementation.
  • Lire attentivement la convention de stage et s’assurer de bien comprendre ses droits et obligations.

Ce qu’il faut retenir

La question de la responsabilité civile en cas d’acte commis par un stagiaire est complexe et nécessite une compréhension approfondie des rôles et responsabilités de chaque acteur impliqué. L’entreprise d’accueil, en tant que commettant, est généralement responsable des actes dommageables commis par le stagiaire, mais l’établissement d’enseignement et le stagiaire lui-même peuvent également voir leur responsabilité engagée dans certaines situations. La prévention des risques et la souscription d’assurances adaptées sont essentielles pour minimiser les conséquences financières d’un incident et pour assurer la sécurité de tous.

Il est important de noter que la jurisprudence en matière de responsabilité civile évolue constamment, et il est donc essentiel de se tenir informé des dernières décisions de justice. La digitalisation croissante des activités professionnelles soulève également de nouvelles questions en matière de responsabilité civile, notamment en ce qui concerne la protection des données personnelles et la sécurité des systèmes d’information. Pour toutes ces raisons, il est conseillé aux entreprises, aux établissements d’enseignement et aux stagiaires de se renseigner auprès de professionnels du droit pour obtenir des conseils adaptés à leur situation et pour prendre les mesures nécessaires pour se protéger. Pour aller plus loin, vous pouvez consulter le site de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) pour des informations sur la protection des données personnelles, et le site de l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) pour des conseils sur la prévention des risques professionnels.

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